Rédaction Le 2021-06-11 20:02:39, au Kram, la dérive d’un maire islamiste
À une quinzaine de kilomètres de Tunis, face au calme trompeur du golfe, le Kram (« le figuier », en arabe) a été secoué ces derniers jours par des événements révélateurs d’une atmosphère tendue. Aimée le long du chapelet de plages qui s’étend de la Goulette à la Marsa, la commune vit sous l’autorité d’un maire islamiste depuis 2018. Élu sous l’étiquette Ennahdha, Faathi Laayouni est pourtant un ancien cadre du RCD [Rassemblement constitutionnel démocratique], le parti du président déchu Ben Ali. Peut-être pour faire oublier ce passé, l’homme multiplie les sorties sur les homosexuels « à emprisonner ou à psychiatre » ou sur l’interdiction des mariages avec un non-musulman.
Ces jours-ci, Fathi Laayouni a franchi un pas supplémentaire. Bien qu’avocat, le maire n’a pas hésité à parler du droit tunisien. Il ya dix jours, il a fait installer des barres de fer sur la devanture du magasin d’informatique de Slim Benachour, accusé de ne pas avoir réglé ses taxes. Le commerçant dérange Fathi Laayouni depuis son arrivée à la mairie. Il fait en effet partie de ces citoyens qui n’ont que leur caméra pour révéler les atteintes au droit dans une société encore provoquée par l’arbitre.
Slim Benahour, qui filme en amateur les réalités de sa ville depuis 2016, ne s’est pas arrêté avec l’arrivée du nouveau maire. Qu’il s’agit de la dégradation des services publics, de la plage, des écoles ou de la manifestation pro-Hamas, en présence du porte-parole de l’organisation terroriste, Sami Abu Zuhri. Ce dernier a également été reçu en grande pompe par le leader islamiste Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha et du Parlement.
Menaces
Le magasin de Slim Benachour a donc été mis sous scellés. Une pratique interdite même pour dettes, rappelle son avocat, maître Hazem Ksouri. L’affaire a beaucoup ému car le maire n’a pas fait appel aux représentants de l’ordre mais à la milice privée qui l’entoure désormais à la municipalité.
L’équipe de Shems FM, station de radio très populaire, a mené l’enquête sur cet évènément. Le journaliste Oussama Chawali s’en est fait l’écho dans son émission « Al Mouhema » une matinée très suivie. « J’ai été ensuite insulté en direct par le maire explique-t-il à Marianne. C’étaient des menaces en direct ».
Ce 10 juin, en début de matinée, cinq camions avec à leur bord une foule de personnes ont débarqué devant les locaux de la radio, à Tunis. Ils ont encerclé les locaux, lancé des pierres à Oussama Chawali repéré dans l’escalier, et conspué son nom, celui de son confrère Hamza Belloumi, producteur de l’émission « Les quatre vérités », et du chroniqueur politique Mohamed Boughaleb.
Retour en arrière
Appelée en urgence, la police protège désormais les locaux. Le syndicat des journalistes a affiché sa solidarité. On ne relève pour l’instant aucune réaction d’Ennahdha. Ces agressions rappellent un autre temps, pas si lointain. Entre 2012 et 2013, des bandes sèment la terreur sur le campus de la faculté de la Manouba, contre des expositions d’artistes jugés « blasphématoires », des intellectuels et des journalistes.
À la manœuvre, les « Ligues de protection de la révolution » et les djihadistes d’Ansar al-Charia. En 2013, les meurtres des hommes politiques Chokri Belaïd et de Mohammed Brahmi, avaient alors scandalisé les Tunisiens. Plus récemment, Imed Boukhris, président de l’instance nationale de lutte contre la corruption, a été limogé au bénéfice d’un proche d’Ennahdha. La décision a fait scandale et une riposte du Haut conseil judiciaire. Il sera désormais interdit aux juges d’occuper une fonction politique dans l’exécutif.
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