Actuexpress.net Le 2021-05-21 19:00:06, décès de la militante culturelle et féministe Zeyneb Farhat
Zeyneb Farhat au micro de Radio Tunis chaîne internationale, en octobre 2016. DR
Malgré la maladie qui la rongeait depuis deux ans, elle affichait toujours un grand sourire, rehaussé d’un rouge à lèvres écarlate, sa marque de fabrique selon ses amis. Journaliste de formation, femme de théâtre par passion et militante chevronnée des droits humains et de la cause féministe, Zeyneb Farhat est décédée à Tunis mardi 18 mai, à l’âge de 63 ans.
«Malgré les chimiothérapies, elle était de tous les combats, jusqu’à la fin», se souvient avec émotion Ahlem Belhadj, amie de longue date et ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, où Zeyneb Farhat a longuement milité. «C’était une bagarreuse qui ne lâchait rien quand elle avait une idée en tête», témoigne l’artiste plasticien Mahmoud Chalbi, qui lui a rendu hommage comme une grande partie du monde culturel et associatif.
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Originaire de Gabès, issue d’une famille de sept enfants, Zeyneb a grandi dans le quartier Bab El-Khadra de Tunis. Son enfance est reconnue par le militantisme de son père, engagé dans la lutte pour l’indépendance tunisienne. Directeur d’école, syndicaliste actif, il est mis en cause en 1962 dans l’affaire du complot contre le président Habib Bourguiba. Onze accusés sont exécutés, les autres condamnés au bagne et aux travaux forcés, dont le père de Zeyneb Farhat. Un procès qui marqua un durcissement du régime bourguibien.
L’espace culturel El Teatro
A l’âge adulte, Zeyneb évolue dans la sphère des partis de gauche. Influencée par l’engagement de sa sœur dans le mouvement Perspectives ou El Amal Ettounsi, elle côtoie de nombreux intellectuels et acteurs politiques. Après des études à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI), elle poursuit sa carrière journalistique, écrivant aussi bien en anglais qu’en arabe. Elle travaille pendant dix ans avec Visnews, une agence de presse réunissant Reuters et la BBC, puis la chaîne de télévision américaine NBC.
En 1987, elle fonde avec son conjoint, le dramaturge et metteur en scène Taoufik Jebali, l’espace culturel El Teatro, le premier théâtre privé tunisien qui s’intéresse à la scène artistique tunisoise, mais sert aussi de lieux de rencontres et de débats.
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«C’est un espace qui drainait beaucoup de monde et surtout des opposants. Zeyneb et Taoufik ont souvent été harcelés par la police sous Ben Ali à cause de cela », souligne Ahlem Belhadj, qui se souvient de réunions de l’ATFD et de la Ligue des droits de l’homme organisé dans ce théâtre. En 1996, il se voit interdit d’héberger des événements autres qu’artistiques.
Après la révolution de 2011 et la chute du régime de Ben Ali, Zeyneb Farhat poursuit son militantisme sur des thématiques thématiques. En 2012, El Teatro programme une exposition intitulée «Etre noir (e) dans la verte: les couleurs de la société», qui dénonce le racisme envers les Noirs en Tunisie, ainsi qu’une pièce de théâtre sur la mémoire de l’esclavage .
Défendre les espaces culturels privés
En 2013, Zeyneb Farhat signe, avec plusieurs associations antiracistes, une lettre ouverte à la présidence de la République pour demander que le 23 janvier devienne une journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage en Tunisie. Six ans plus tard, le président Béji Caïd Essebsi – Mort en 2019 – Accède à cette demande.
Sous son égide, El Teatro soutient la création traitant des problématiques de la Tunisie post-révolutionnaire. En 2019, l’œuvre TranStyx, centrée sur la transidentité, aborde les droits LGBTQ + dans une Tunisie où l’homosexualité est encore punie par la loi. En 2020, la pièce Couleur pourpre de la grande bleue raconte les histoires de jeunes migrants irréguliers issus de la région de Médenine, dans le sud tunisien.
Grâce à un solide réseau d’artistes, producteurs et donateurs à l’étranger, le théâtre accueille également de nombreuses adaptations de pièces en arabe, comme le drame du poète et dramaturge espagnol Frederico Garcia Lorca La Maison de Bernarda Alba.
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Alors que le budget public consacré à la culture est réduit à une portion congrue, Zeyneb Fahrat crée le syndicat libre des espaces scéniques indépendants dont l’objectif est de défendre les espaces culturels privés. Elle aide aussi à rénover les espaces publics délaissés pour en faire des lieux culturels, avec le soutien des municipalités.
L’un de ses derniers projets menés avec son association Zanoobya Capture conduite à reprendre la plume en animant un atelier d’écriture pour des femmes emprisonnées et torturées dans les années 1970 en raison de leur engagement à gauche. Leur ouvrage collectif, Bnat Essiassa, publié en 2020 en langue arabe, a permis de donner une voix à ces oubliées de l’histoire politique du pays.
Mère de deux filles de 28 et 31 ans, Zeyneb Fahrat a été enterrée le 19 mai dans le cimetière de Sidi Sahbi El Omrane à Tunis, où elle repose désormais aux côtés de sa sœur, Safia.
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