Rédaction Le 2021-08-16 14:38:00, La porte des abus est grande ouverte
16/08/2021 | 13:38 , mis à jour à 20:00
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Plusieurs élus ont été visés par une interdiction de voyage sans être informés. C’était le cas, par exemple, de l’élu Attayar qui a découvert qu’il faisait l’objet de cette mesure « administrative » en allant à l’aéroport. Toutefois, plusieurs témoignages font état d’abus dans l’application de cette mesure largement contestée.
Au niveau juridique, c’est la professeure Salsabil Klibi qui a fourni l’explication dans un statut Facebook publié le 16 août 2021. Elle a expliqué que l’état d’exception relatif à l’article 80 qui avait été utilisé par le président de la République le 25 juillet, est plus dangereux pour les droits et les libertés que l’état d’urgence. « L’état d’exception qui se base sur l’article 80 de la Constitution implique la suspension des droits et libertés et des garanties y afférentes […] Cela n’implique pas de mettre des restrictions sur les libertés et les droits mais leur suspension et celle des garanties juridiques », at-elle expliqué.
Ainsi, au niveau de la législation et des procédures, le ministère de l’Intérieur est en mesure d’interdire n’importe qui de quitter le territoire ou carrément de l’assigner à résidence, sans que cela soit justifié par une procédure judiciaire en cours et sans l’aval d’un juge. Ce sont uniquement les services du ministère de l’avenue Habib Bourguiba qui prennent la décision.
Cette grande liberté de jugement laissée aux services du ministère de l’Intérieur a donné lieu à plusieurs abus. D’après les témoignages de plusieurs personnes, il suffit d’avoir la mention « directeur général », « directeur » ou même « chef de projet » dans la case réservée à la fonction dans les papiers officiels pour être mis de côté, le temps que les vérifications nécessaires soient faites. Par la suite, cela dépend de la chance de chacun : ou bien les agents autorisent le passager à poursuivre son voyage ou ils lui précisent qu’il est interdit de voyager et qu’il doit rentrer chez lui. Par ailleurs, il est impossible pour le voyageur d’avoir une quelconque explication ou de connaitre les motivations sur lesquelles le ministère de l’Intérieur se base pour appliquer cette mesure.
Plusieurs hommes d’affaires et dirigeants d’entreprises ont été obligés de rebrousser chemin depuis l’aéroport de Tunis-Carthage sans avoir la moindre explication. Il va sans dire qu’on ne leur dit pas non plus pendant combien de temps une telle leur sera appliquée. Cela a un impact direct sur les affaires, déjà chancelantes, des entreprises tunisiennes qui voient leurs collaborations avec les partenaires étrangers non handicapés. Pour l’instant, il n’est plus possible pour eux de négocier des contrats à l’étranger ni de participer à des tournées promotionnelles ou à des salons internationaux.
Des voix commencent à s’élever pour dénoncer l’arbitraire d’une telle mesure qui ne s’appuie sur aucune procédure judiciaire et ne nécessite aucune intervention du pouvoir judiciaire. Il s’agit en fait d’une mesure qui traduit le regard populaire que beaucoup portent sur les chefs d’entreprises et sur les hommes d’affaires. Ils sont tous vus comme étant des corrompus et des voleurs et l’État semble adhérer à cette vision tout à fait erronée. Cela s’est également traduit lors de la rencontre entre le président de la République Kaïs Saïed et le patron de l’Utica, Samir Majoul. Il n’a pas été question de relance économique ou de plan de sauvetage des entreprises tunisiennes. Le chef de l’État a évoqué les hommes d’affaires véreux qui doivent rembourser l’argent volé.
Il est très peu probable, voire impossible, qu’une mesure d’une telle envergure n’a pas été décidée avec le palais de Carthage. Il s’agit pour l’instant d’une mesure provisoire appliquée de manière arbitraire. Mais comme pour le reste des mesures annoncées par le chef de l’État, la question est : jusqu’à quand ? Pour l’instant, cela ressemble à une improvisation appliquée par des services qui ne savent pas quoi en faire. Même si juridiquement les services de l’État tunisien sont hors de cause, moralement l’application de cette mesure fait grincer des dents. Plusieurs parties politiques sont exprimées sur la question, comme Ennahdha et Attayar dès lors que l’un des leurs (Anouar Ben Chahed) en a fait les frais. Mais il est fort à parier que leurs voix ne seront entendues ni par le président de la République ni par le ministère de l’Intérieur.
Marouen Achouri
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