Actuexpress Le 2021-07-10 10:25:43, la Tunisie noyée par la pandémie – Libération
Dans un pays longtemps épargné, la dernière vague se révèle fatale. La mortalité y est, en proportion, la plus importante d’Afrique. Virulence des variants, manque de vaccins, incivilité sont pointés mais c’est surtout l’impéritie du gouvernement qui est mise en avant.
«Aujourd’hui, c’est Pfizer.» L’information parvient à Henda Malek sitôt les barrières du Palais des congrès de Tunis, transformées en centre de vaccination, franchies. Soulagée, la sexagénaire n’aura pas payé le trajet de 20 km en taxi depuis sa maison de Monarguia, à l’ouest de Tunis, pour rien. « Si cela avait été le vaccin chinois, on aurait hésité, raconte sa fille. Le problème, c’est que le nom du vaccin n’est pas précisé dans le rendez-vous que l’on reçoit par SMS.» En attendant que le numéro de Henda Malek soit craché par les haut-parleurs, les deux femmes prennent place sur les chaises en plastique disséminées sous chaque petit coin d’ombre, à l’extérieur du bâtiment. Tant pis pour le respect de la distanciation sociale, les 35 °C ont raison de la règle. A l’intérieur, l’organisation est au cordon : des infirmières passent entre des rangées bien espacées de fauteuils matelassés, réservés aux invités de marque dans les événements qu’accueille habituellement le site, pour piquer les 2015 volontaires attendus ce vendredi 9 juillet. La docteure Lamia Zayati, responsable du centre, est confiante : «Avec Pfizer, on aura peu de désistements. Il y a deux jours [7 juillet], on avait le vaccin chinois CoronaVac, seuls 30 % des doses ont été utilisées. Les gens ont fait demi-tour.»
135,63 morts pour 100 000 habitants
« La faute à l’égoïsme de l’Europe, qui garde les bons vaccins », maugrée une blouse blanche, qui n’en dira pas plus. Plus de 3٫2 millions de Tunisiens sont inscrits pour la vaccination, mais moins de 20 % (soit 5 % de la population totale) ont reçu, pour l’heure, les deux doses. L’ancienne Carthage est désormais le premier pays d’Afrique en nombre de décès de la Covid-19 : 135,63 pour 100 000 habitants selon la Johns Hopkins University. Il ya un an, le pays ne semble pourtant que 54 morts. Les autorités donnaient alors facilement l’autorisation de visiter le circuit Covid de l’hôpital Charles-Nicolle, le principal établissement de Tunis. Aujourd’hui, le ministère de la Santé traîne et propose éventuellement une visite de l’hôpital militaire, a priori moins exposé. «Ce n’est pas très joli ici, souffle au téléphone un médecin des urgences de Charles-Nicolle. On est passé de 40 à 250 lits Covid sur tout l’hôpital, mais on n’y arrive pas. Aux urgences, on est à 300% d’occupation des lits !» Un tiers des 3 000 soignants de l’hôpital ont été infectés par le virus et deux en sont morts. Sur les réseaux sociaux, des vidéos révélant des patients dormants dans des couloirs dans plusieurs hôpitaux. Les bouteilles d’oxygène manquent. Les concentrateurs d’oxygène commandés par l’Etat ne suffisent pas.
« Les cas graves se sont accélérés avec les nouvelles variantes, constate le professeur Hichem Aouina, chef du service pneumologie à Charles-Nicolle. La majorité des décès se fait aux urgences car les patients arrivent déjà dans un état qui nécessiterait une prise en charge en réanimation, ce qui est impossible. Pendant les deux prochains mois, jusqu’à ce qu’un nombre suffisant de citoyens soient vaccinés, les Tunisiens doivent comprendre qu’ils ne peuvent compter sur eux-mêmes en respectant les mesures de base, car le gouvernement est incapable de faire respecter les règles.» A La Goulette, jouxtant Tunis, les policiers n’ont pas réussi à faire fermer les magasins malgré les cas positifs des commerçants. Tout juste ont-ils obtenu de ces derniers qu’ils portent des masques.
Mourir du virus, pas de faim
Tous les jours, Aïcha (1) embarque dans des taxis collectifs et trams bondés pour se rendre dans les familles aux quatre coins de la capitale chez qui elle garde des enfants. «Avec ma sœur, on n’est que deux à travailler pour quatre personnes à la maison. Ma mère et mon frère ont des problèmes de santé qui peuvent être traités par des chers. Comme la plupart de mes employeurs me paient au noir, si je ne viens pas, je ne gagne rien. Avec le couvre-feu à 20 heures, je perds déjà des heures de travail car il me faut deux heures pour rentrer.» Malgré la flambée des contaminations, Aïcha continue, munie de deux masques, de prendre les transports remplis d’usagers des canapés populaires qui en ont pris leur parti : plutôt risquer de mourir du virus que de faim.
Alors que le FMI examine une nouvelle demande d’emprunt pluriannuel de la Tunisie, le gouvernement, face à la contraction de son économie (- 8٫8 % en 2020), n’a pas osé reconfiner strictement le pays comme l’an dernier . Le Premier ministre, Hichem Mechichi (indépendant) est pris en étau entre Ennahdha, parti islamiste majoritaire au parlement, qui veut sa destitution, et le président de la République, Kais Saied, qui refuse depuis des mois de valider son remaniement ministériel. La paralysie politique autorise tous les débordements. L’UGTT, syndicat hégémonique, a pu organisateur son congrès avec plus de 500 personnes le 8 et 9 juillet à Sousse, foyer de contamination. Le syndicat avait obtenu une autorisation spéciale du ministère de la Santé.
(1) Le prénom a été modifié
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