Actuexpress.net Le 2021-08-05 10:27:54, Le président tunisien soigne ses militaires
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Des molitaires bloquent une entrée latérale du Parlement, à Tunis, le 27 juillet 2021. HASSENE DRIDI / AP
La séquence la plus emblématique de la crise politique qui secoue la Tunisie depuis le 25 juillet. Quelques heures après la décision du président de la République, Kaïs Saïed, de limoger le chef du gouvernement et de suspendre les travaux de l’Assemblée nationale, un char et des militaires sont déployés derrière les grilles du Parlement. Des caméras captent un échange tendu entre un soldat et la vice-présidente de l’Assemblée, qui cherche à entrer dans le bâtiment : « Nous sommes des élus officiels et nous avons prêté serment sur la Constitution », lui lance-t-elle. « Nous avons reçu des consignes et nous avons juré de défendre le pays. Le Parlement est fermé », objecte le militaire. Un face-à-face inédit.
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De nombreux analystes ont interprété la scène comme le signe avant-coureur d’un coup d’État. Des parallèles ont été tracés avec le renversement par les forces armées du président égyptien Mohamed Morsi, issue des rangs islamistes, en juin 2013. Mais dans quelle mesure Kaïs Saïed peut-il appuyer sur les militaires pour renforcer son autorité ? A quel point ces derniers le soutiendraient-ils s’il décidait de proroger la suspension du Parlement au-delà des trente jours prévus par la Constitution ?
Depuis sa création en 1956, l’armée tunisienne entretient des relations distantes avec le pouvoir. Tenue à l’écart pendant la mandature de Habib Bourguiba, elle a connu des purges sous le règne de Zine El-Abidine Ben Ali, qui a eu une formation militaire. En 1991, 244 officiers et hommes de troupe, accusés de « fomenter un coup d’État », sont arrêtés. Confronté à un soulèvement dans le bassin minier, le président s’appuie pourtant sur l’armée en 2008 pour contenir le mouvement social. Mais tout bascule trois ans plus tard. A l’époque, alors que les forces de police répriment à tout-va, les militaires se rangent du côté des révolutionnaires. Un soutien qui leur vaut encore de jouir d’une grande popularité.
Prérogatives qui gonflent
Soucieux d’entretenir l’institution, les gouvernements qui se sont succédé depuis la fin de la dictature ont régulièrement augmenté le budget alloué à la défense, dans le cadre du renforcement de la lutte antiterroriste. Les 36 000 soldats que compte désormais l’armée tunisienne sont également mieux équipés, grâce à la coopération nouée avec les États-Unis en matière de défense.
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Elu à la présidence en 2019 et, à ce titre, chef des armées, Kaïs Saïed a, lui aussi, pris soin de courtiser les hommes en uniforme, s’affichant volontairement aux côtés des troupes. En mai, pendant le ramadan, il s’est rendu de manière inopinée dans une caserne du Mont Chaambi, à Kasserine, théâtre d’opérations antiterroristes depuis 2013, pour participer à la rupture du jeûne. « En Tunisie, l’armée tire sa légitimité du pouvoir en place, souligne le colonel-major à la retraite Mezoughi Mahmoud. C’est très différent de l’Egypte, où ce sont les militaires qui ont porté le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi à la tête de l’Etat. »
Éléments stabilisateurs dans une démocratie fébrile, les gradés ont d’ailleurs vu leurs prérogatives gonfler ces derniers mois. Le 28, la présidence a, en effet, chargée à l’armée de la tâche de coordination de la cellule de crise mise en place pour lutter contre la crise qui ravage le nouveau pays. Avant cela, les militaires avaient déjà été déployés pour soutenir le système hospitalier et la campagne de vaccination.
Inquiétude qui s’installe
Au sein de troupes, comme dans une bonne partie de la population, le coup de force du président « a été accueilli avec un certain relâchement », admet un cadre militaire à la retraite, sous couvert d’anonymat. Pour autant, ajoute-t-il, « l’inquiétude s’installe chez certains, à cause de la concentration des pouvoirs ». Un doute alimenté par le limogeage du ministre de la défense, Ibrahim Bartagi, le 25 juillet, et le remplacement du procureur général de la justice militaire.
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Que se passerait-il si les rares opposants déclarés au chef de l’État parvenaient à mobiliser davantage ? Si, à la liesse des premières semaines succédaient la colère et la désillusion ? Sharan Grewal, spécialiste des relations entre civils et militaires dans les processus de démocratisation dans le monde arabe, balaie pour le moment l’ éventualité d’une réponse violente des militaires. « Mais tout dépend de la nature des manifestations. Si elles sont déclenchées par une frange violente et radicale de la population, opposée à Kaïs, difficile de savoir quelle sera la riposte », commente-t-il.
Car Kaïs Saïed n’a pas seulement son autorité sur les forces armées, il a également renforcé la mainmise de la présidence sur la police. Dès avril 2021, à l’occasion de la célébration du 65e anniversaire des forces de sécurité intérieure, il a assuré que, « selon la Constitution, le président de la République est le chef des forces armées militaires et civiles, sans distinction aucune ». Une déclaration remettant en cause le lien organique entre la police et le ministère de l’intérieur.
Griefs contre la police
Après le limogeage du chef du gouvernement Hichem Mechichi, le président a chargé Ridha Gharsallaoui, son ancien conseiller à la sécurité, de prendre les rênes de l’intérieur, en attendant la nomination d’un nouveau ministre. Selon Habib M. Sayah, consultant indépendant, l’absence de remontrances ou de critiques à la suite de ces changements tendent à montrer que Kaïs Saïed semble avoir une forme d’autorité sur cet « Etat dans l’Etat qui a toujours été difficile à gouverner depuis la révolution, avec la présence de syndicats très fragmentés ». Ce soutien pourrait cependant se retourner contre lui sur le long terme, « car beaucoup de ses sympathisants veulent la fin de l’impunité policière, qui est l’un des principaux chagrins de la population depuis la révolution ».
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Les soldats, eux, restent populaires. Mais le rôle de l’armée dans les arrestations récentes de certains parlementaires, ordonnées par la justice militaire après la levée de l’immunité par la présidence, inquiète. Arrêté et emprisonné le 30 juillet pour une condamnation liée à une atteinte au moral de l’armée en 2018, Yassine Ayari, député du parti Espoir et travail, a été le premier à faire les frais. Deux autres parlementaires issus de la coalition ultraconservatrice Al Karama ont été arrêtés puis relâchés, en attendant leur audience pour une affaire touchante à l’aéroport de Tunis-Carthage. De nombreuses associations ont dénoncé l’usage du code de justice militaire dans ces affaires antérieures au coup de force du 25 juillet.
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