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Retour sur la couverture du 25 juillet 2021 en Tunisie par le journal Le Monde

Rédaction Le 2021-08-10 10:13:14, Retour sur la couverture du 25 juillet 2021 en Tunisie par le journal Le Monde

En ce qui concerne la couverture médiatique de ce qui se passe en Tunisie depuis le 25 juillet 2021 par les médias étrangers, les Tunisiens ont plus que de simples réserves à exprimer, tant cette couverture leur semble en nette décalage par rapport à la réalité qu’ ils vivent, la palme de la déformation revenant, à cet égard, au quotidien français Le Monde.

Par Zoubeida Bargaoui *

Le journal Le Monde à titre le 8 août 2021 sur «une regrettable campagne de dénigrement» visant les réseaux sociaux sa correspondante Lilia Blaise. La rédactrice en chef y défend sa journaliste et fait l’éloge de sa « couverture tout en nuances ». Première question : cette couverture était-elle nuancée ?

Au 31 juillet, Lilia Blaise a titré «En Tunisie la nomination du chef du gouvernement se fait attendre». L’article parle d’« atermoiements, ajoutés aux limogeages qui se poursuivent dans plusieurs cabinets ministériels, (qui) commencent à déclencher l’inquiétude ». Il parle aussi de l’arrestation d’un député (Yassine Ayari) alors même que celui-ci était simplement sous le coup de poursuites judiciaires et bénéficiait jusque-là d’une immunité parlementaire qui venait d’être levée. Mais cette nuance là a échappé à notre si perspicace journaliste. L’article, à charge contre le président Kaïs Saïed (allez savoir pourquoi!), dit que le parti Ennahdha «poursuit sa campagne pour se poser en garant de la démocratie». Garant de quelle démocratie ? Celle de l’argent sale de l’Organisation internationale des Frères musulmans, peut-être…

Les protestations des Tunisiens ne méritent pas qu’on s’y attarde

Le 27 juillet, Lilia Blaise titrait « La Tunisie plongée dans l’inconnu après le coup de force du président Kais Saied ». Où sont les nuances alors même que primo, au 27 juillet, la plupart des observateurs, y compris les responsables français et états-uniens, ne parlent pas de coup d’État ni même de coup de force et que secundo la machine corrective s’ était déjà mis en marche pour attaquer les problèmes de fonds qui minent notre démocratie et notamment les réseaux de la corruption protégés sinon incarnés par le parti Ennahdha ?

L’article du 27 juillet a présenté les démonstrations pour la sauvegarde des idéaux de la révolution de 2011, dévoyés par Ennahdha et ses alliés, comme des « défenseurs du président », limitant de facto leur représentativité populaire. Ou un sondage sérieux à montré que 82% de la population soutient les mesures prises le 25 juillet par le président de la république, qui, sur le sait, est indépendant de tous les partis.

Le 31 juillet, Le Monde persiste et signe en titrant encore une fois avec les mots clé «coup de force» sous la plume de son envoyé spécial Mustapha Kessous. Heureusement que le journal s’est rattrapé en publiant, le 9 août, une tribune de la romancière Emna Ben Haj Yahia qui remet les pendules à l’heure en titrant «La joie d’un peuple qui n’en pouvait plus de suffoquer» . C’est le moins qu’on peut attendre du journal au lendemain de son malheureux mot de « regrettable ».

Deuxième question : commentaire Lilia Blaise qui titrait le 22 juin 2021 « En Tunisie la crise sous tous les fronts » et le 11 mai « Les déboires du parti islamo-conservateur Ennahdha » s’est-elle retrouvée à mettre le focus sur la résistance de ce parti pour torpiller les mesures du 25 juillet plutôt que sur les contestations de la rue ayant précédé les mesures constitutionnelles du président Saïed et les proclamations de joie les ayant suivis ?

Nulle personne se trouve à Tunis ce soir-là ou partout en Tunisie et même au fin fond des campagnes, et ne dormant pas encore puisqu’il faisait nuit, ne pouvait nier la joie qui s’est identifiée. Youyous, klaxons, musique, manifestations de rue, tout était là pour témoigner de l’acceptabilité populaire des mesures. Même un observateur ne comprenant pas la langue aurait compris que quelque chose de grandiose et d’historique à eu lieu. Mais pas Lilia Blaise, qui préfère prêter l’oreille aux cris d’orfraie de quelque droits-de-l’hommiste des quartiers chics de Tunis.

Dans Le Monde du 23 avril 2021, Olivier Piot avait pourtant titré « Les nouveaux visages de la colère » et parlait de « retour d’une fronde générale ». Peut-être que son collègue est resté prisonnière de parti-pris concernant les capacités des Tunisiens à mener une fronde jusqu’à ce qu’ils aient mesuré leur persévérance ? La fronde générale à bien eu lieu ce 25 juillet. Certains ont préféré ne pas y prêter attention. Il est vrai que depuis très longtemps, la république n’a pas été aussi superbement fêtée par le peuple. « Yes we can » a été le slogan de nombreux manifestants qui exigeaient la dissolution de l’Assemblée et des poursuites judiciaires contre les dirigeants d’Ennahdha pour tout le mal qu’ils ont fait au pays en dix ans de pouvoir.

Le « nouveau journalisme »… à distance

Ce qui pose problème dans cette affaire est qu’en ce qui concerne la couverture médiatique de ce qui se passe actuellement en Tunisie, le journal Le Monde n’est pas un cas isolé. Pendant plusieurs jours, après le 25 juillet, les télévisions françaises et même la franco-allemande Arte ont continué à privilégier la thèse farfelue du coup d’Etat, de coup de force ou de mesures non constitutionnelles, à tel point que je n’arrivais plus personnellement à les suivre. «Parlent-ils vraiment de nous ?» , me demandais-je, en m’interrogeant sur la crédibilité du «nouveau journalisme»… à distance.

Dès le 26 juillet en Tunisie, nombreuses ont été les interviews de spécialistes du droit constitutionnel qui ont présenté leurs avis, parfois nuancés. Après 2 ou 3 jours d’échanges, il était devenu clair pour un observateur même non que les mesures présidentielles ne pouvaient être qualifiées de coup d’État ni même de coup de force. Il suffirait aux envoyés spéciaux de se déplacer dans la rue, d’aller dans les épiceries ou chez les marchands de légumes à l’étalage, de faire la queue devant n’importe quelle institution (poste, banque, compagnie des eaux ou de l’ou municipalité) pour « tâter » le pouls de la rue et mesurer de visu ce qui sera qualifié avec des mots trop bien choisis, comme pour atténuer leur effet sur les cœurs fragiles des islamo-gauchistes, de « déboires du parti islamo -conservateur Ennahdha».

En conclusion, je m’interroge une nouvelle fois sur le métier de journaliste et sur ses difficultés. Il est certain que parler des « autres » n’est pas du tout simple. Un journaliste doit se défaire des influences parfois amicales, des clichés ayant la peau dure et des préjugés qui faussent son regard, comme en a fait l’expérience John Danalis, auteur et graphiste australien, qui s’est raconté dans son livre « L’ appel du Cacatoes noir».

* Universitaire.

Article lié :

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