Actuexpress Le 2021-08-15 09:55:53, Vingt et un jours que le palais du Bardo est fermé : La Tunisie suspendue à la parole présidentielle
Suspendre la Constitution de 2014 au profit d’une sorte de légitimité populaire pourrait néanmoins être dangereuse pour la suite de l’histoire. Cela risquerait de vouloir dire qu’au gré des équilibres des pouvoirs et des forces en présence, chaque gagnant de chaque époque pourrait renverser la table.
Vingt et un jours se sont écoulés depuis la décision du locataire de Carthage de geler les activités de l’Assemblée des représentants du peuple, et les Tunisiens se trouvent compte que le monde continue à tourner, peut-être même mieux qu’avant. On pourrait dès lors se demander si la Tunisie pourrait éventuellement passer de cette « démocratie parlementaire », sans pour autant altérer le processus démocratique dans lequel est engagé la Tunisie depuis le soulèvement du 14 janvier 2011.
Sur la scène politique, la question qui domine actuellement est celle de savoir ce que fera Kaïs Saïed dans moins de dix jours, à l’issue des 30 jours, délai que s’était temporairement fixé le Chef de l’Etat, pour un recommencer un fonctionnement normal des institutions de la République.
Inversons la question : peut-on imaginer que l’ARP soit rétabli, dans quelques jours ou quelques semaines, dans son fonctionnement antérieur au 25 juillet? Ce sera légal mais elle n’aura aucune légitimité. Chaque jour qui passe érode son image. Chaque jour qui passe impose une comparaison qui n’est pas à l’avantage du Parlement. Peut-on une seule seconde imaginer de nouveau un Ghannouchi sur son perchoir ? Un Makhlouf en train d’intimider les forces de sécurité dans un aéroport international ? Des querelles, des cris, des vociférations ?
L’ARP a perdu sa légitimité. Il lui sera difficile mais pas impossible de redémarrer.
«Une dictature constitutionnelle»
Voyons la question différemment : « L’état d’exception », qui est la situation actuelle, pourrait-il finalement continuer à être légitime ? Pourra-t-il durer ? Quels sont les scénarios ? Quelles sont les options ?
Pour la professeure de Droit constitutionnel Mouna Kraïem, jointe par La Presse, il est évident, qu’il ne peut y avoir une démocratie sans l’institution parlementaire. Le Parlement est l’un des piliers d’une démocratie qui représente le pouvoir législatif. Des pouvoirs aux mains d’une seule personne, quelle qu’elle soit, et nous risquerions de confirmer ce qu’écrivait Montesquieu dans L’esprit des lois : «C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser».
Pour Mme Kraïem, l’état d’exception installé de fait une sorte de « dictature constitutionnelle ». En effet, en l’absence d’une Cour constitutionnelle, le Président de la République demeure le seul interprète de la Constitution. «A la fin des 30 jours, c’est également au Chef de l’État d’évaluer la situation et de dire si le danger imminent est encore à nos portes».
« Il existe deux scénarios envisageables pour le Président de la République, poursuit-elle, un retour à la normalité et donc le retour du Parlement qui votera le gouvernement, ou bien la suspension pure et simple de la Constitution de 2014, en se basant non pas sur une quelconque l’égalité, mais bien sur une légitimité populaire», explique-t-elle encore.
Dans le premier scénario, la liberté est donc laissée aux parlementaires de décider d’accorder ou pas leur confiance au gouvernement qui sera proposé par le Président de la République. «Mais dans ce cas, une épée de Damoclès sera suspendue au-dessus des élus, s’ils n’accordent pas leur confiance, le Chef de l’État pourra dissoudre l’Assemblée», analyse encore la constitutionnaliste.
Suspendre la Constitution de 2014 au profit d’une sorte de légitimité populaire pourrait néanmoins être dangereuse pour la suite de l’histoire. Cela risquerait de vouloir dire qu’au gré des équilibres des pouvoirs et des forces en présence, chaque gagnant de chaque époque pourrait éventuellement renverser la table et établir un nouvel, s’appuyant sur une certaine légitimité. Question : quand est-ce que cela s’arrêtera ? «Lorsque la Tunisie se dotera véritablement d’instances démocratiques solides, répond, avec regret, Mouna Kraïem. S’il y avait une Cour constitutionnelle, nous n’en serions pas là».
Karim BEN SAID
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