Actuexpress.net Le 2021-06-15 16:57:00, Violences en Tunisie – Le Point
Ça barde en Tunisie. Vendredi, plusieurs policiers étaient filmés dans la cité de Sidi Hassine, banlieue de la capitale, brutalisant et dénudant entièrement un jeune homme avant de l’embarquer dans un fourgon. On apprendra le lendemain qu’il était mineur, quinze ans. Tollé. La veille, le jeune Ahmed Ben Ammar n’était pas ressorti vivant du poste de police, déclenchant des affrontements et les protestations d’une partie de la société civile. Depuis, les affrontements nocturnes se répètent depuis sept nuits à Sidi Hassine. Pour Youssef Chérif, directeur du Columbia Global Center Tunis, « la violence policière n’a pas cessé depuis l’époque de la dictature, les policiers sont aujourd’hui plus désorganisés et insoumis, ils n’en font qu’à leur tête » . Selim Kharrat, membre d’Al Bawsala, la vigie de l’activité parlementaire, juge que « les violences policières sont une constante immuable, mais qu’elles s’intensifient ». Détail significatif, l’actuel ministre de l’Intérieur n’est autre que le président du gouvernement lui-même, Hichem Mechichi. Il assure l’intérim six mois, le président de la République ayant refusé de valider le remaniement qu’on lui soumettait, des ministres pressentis étant soupçonnés de « corruption » par le Parquet national financier.
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Mégaphone et intimidations au Parlement
Le problème des violences policières s’est transporté à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), problème qui a percuté un autre problème. Lundi, lors d’une séance plénière, la députée Abir Moussi a fait irruption casque de moto sur la tête, ceinte d’un gilet pare-balles et mégaphone en mains. Des « dégage » amplifiés par cette sono portative ont fusé alors qu’Olfa Ben Houda, ministre de l’Enseignement supérieur, s’apprêtait à écouter et répondre aux élus de la jeune démocratie. Samira Chaouachi, la vice-présidente de l’ARP, clôturait dans la minute les travaux parlementaires. La Kasbah a annoncé, dans la foulée porter plainte contre Mme Moussi et son parti, le PDL qui pratique cette flibus parlementaire depuis près d’un an. Bis repetitae, mardi. Dès 9 heures, Abir Moussi faisait irruption au centre de l’hémicycle, casque de jockey noir, engoncé dans son immuable gilet pare-balles, micro aux lèvres pour conspuer la séance alors consacrée aux hydrocarbures. Le cameraman de l’Assemblée peinait à suivre le pugilat. Selim Kharrat fustige « une classe politique divisée et incapable de dépasser ses petits calculs politiciens et partisans ». « Instabilité », « blocage », « chaos » sont les mots qui reviennent le plus souvent pour décrire la politique à la tunisienne. Youssef Chérif évoque « un État incapable de protéger ses plus faibles (échec de la lutte contre le Covid), ses jeunes (violences policières, chômage), et sa place dans le monde (possible faillite, interventions étrangères de plus en plus croissantes, etc. .). » Conclusion : « Pour une grande partie de Tunisiens, cette situation crée un dégoût de la vie politique, de la démocratie, et même de l’État. » Kharrat évoque le risque concret d’une « déliquescence des institutions et d’une faillite d’un État mal gouverné ». Les captations des rodomontades d’Abir Moussi et d’autres partis dans l’hémicycle franchissent les frontières. Une délégation tunisienne s’est rendue à Washington au mois de mai dans l’espoir d’obtenir un nouveau plan d’aides de plusieurs milliards de dollars auprès du FMI. Un des critères déterminants : la stabilité politique.
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Trois présidences qui se toisent
La culture du consensus, un mantra de la vie politique tunisienne, a vécu. Depuis 2011, année de l’irruption démocratique, des alliances se sont constituées pour bâtir les fondations institutionnelles de la démocratie. Islamistes socialistes, nationalistes : les attelages ont été baroques pour bâtir une nouvelle Constitution, une nouvelle loi électorale, des instances indépendantes. « Depuis 2011, le parti islamiste Ennahdha finissait à chaque fois comme le parti faiseur de rois, sans pour autant avoir les moyens ni les capacités de gouverner seul », explique Chérif. Mais depuis 2019, le conservateur Kaïs Saïed est un président de la République très bien élu : 73 % des voix au second tour. Depuis, les trois présidences du pays sont à couteaux tirés, se dédaignant tous. Si « Saïed clame son indépendance, il n’a pas les capacités managériales ni instituer pour offrir un plan de sortie », termine Chérif. Kharrat parachève : « Saïed est à l’image de ses prérogatives, limité ! » Changement de la loi électorale afin d’éviter l’émiettement du Parlement, des élections anticipées, dialogue national : de ces solutions, la dernière semble reprendre la corde. « La répression des mécontentements est la seule réponse d’une classe gouvernante qui a échoué partout ailleurs », poursuit Selim Kharrat selon qui « seule la colère populaire peut faire bouger les choses ». Sur les réseaux sociaux, on peut lire des sondages demandant si l’explosion sociale aura lieu « avant, pendant ou après l’été ». Cette dernière hypothèse a les faveurs des commentateurs 2.0. Via WhatsApp, un des mécaniciens du dialogue social résumait l’état dudit dialogue : « en panne ! »
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